mardi 4 octobre 2011

Milan Kundera, "Les agélastes", L'Ignorance, 2003.

LES AGÉLASTES
L’« affectation de gravité » s’exhibe partout autour de lui, mais le pasteur Yorick n’y voit qu’une friponnerie, « un manteau qui dissimule l’ignorance ou la bêtise ». Autant qu’il peut, il la pourchasse par des commentaires « de drôlerie et d’humour ». Cette « imprudente façon de plaisanter » s’avère dangereuse ; « chaque dizaine de bons mots lui vaut une centaine d’ennemis », si bien qu’un jour, n’ayant plus la force de résister à la vengeance des agélastes, il « jette son épée » et finit par mourir, « le coeur brisé ». C’est ainsi que Laurence Sterne présente le personnage de son roman Tristram Shandy. Oui, il parle des agélastes. C’est le néologisme que Rabelais a créé à partir du grec pour désigner ceux qui ne savent pas rire. Rabelais avait horreur des agélastes, à cause desquels, selon ses mots, il a failli « ne plus écrire un iota ». L’histoire de Yorick est le geste de salutation que Sterne envoie à son maître à travers deux siècles.
Il y a des gens dont j’admire l’intelligence, estime l’honnêteté, mais avec lesquels je me sens mal à l’aise : je censure mes propos pour ne pas être mal compris, pour ne pas paraître cynique, pour ne pas les blesser par un mot trop léger. Ils ne vivent pas en paix avec le comique. Je ne le leur reproche pas : leur agélastie est profondément enfouie en eux et ils n’y peuvent rien. Mais moi non plus je n’y peux rien et, sans les détester, je les évite de loin. Je ne veux pas finir comme le pasteur Yorick.

Chaque concept esthétique (et l’agélastie en est un) ouvre une problématique sans fin. Ceux qui, jadis, jetaient sur Rabelais des anathèmes idéologiques (théologiques) y étaient incités par quelque chose de plus profond encore que la fidélité à un dogme abstrait. C’était un désaccord esthétique qui les exacerbait : le désaccord viscéral avec le non-sérieux ; l’indignation contre le scandale d’un rire déplacé. Car si les agélastes ont tendance à voir dans chaque plaisanterie un sacrilège, c’est parce que, en effet, chaque plaisanterie est un sacrilège. Il y a une incompatibilité infranchissable entre le comique et le sacré et on peut seulement se demander où le sacré commence et où il finit. Est-il confiné au seul temple ? Ou son domaine s’étend-il plus loin, annexe-t-il aussi ce qu’on appelle les grandes valeurs laïques, la maternité, l’amour, le patriotisme, la dignité humaine ? Ceux pour qui la vie est sacrée, entièrement, sans restriction, réagissent avec irritation, ouverte ou cachée, à n’importe quelle blague, car dans n’importe quelle blague se révèle le comique qui en tant que tel est un outrage au caractère sacré de la vie.
On ne comprendra pas le comique sans comprendre les agélastes. Leur existence donne au comique sa pleine dimension, le montre comme un pari, un risque, dévoile son essence dramatique.

Mieux vaut en rire...

Comment tuer l’amant de sa femme (Jacques Brel)

 

Comment tuer l’amant de sa femme
Quand on a été comme moi
Élevé dans les traditions ?
Comment tuer l’amant de sa femme
Quand on a été comme moi
Élevé dans la religion ?
Il me faudrait du temps
Mais du temps je n’en ai pas
Pour elle je travaille tout le temps
La nuit je veille de nuit
Le jour je veille de jour
Le dimanche je fais des extras
Et même si j’étais moins lâche
Je trouve que ce serait dommage
De salir ma réputation
Bien sûr je dors dans le garage
Bien sûr ils dorment dans mon lit
Bien sûr c’est moi qui fais le ménage
Mais qui n’a pas ses petits soucis ?

Comment tuer l’amant de sa femme
Quand on a été comme moi
Élevé dans les traditions ?
Y a l’arsenic, ouais
C’est trop long
Y a le revolver
Mais c’est trop court
Y a l’amitié
Mais c’est trop cher
Y a le mépris
C’est un péché
Comment tuer l’amant de sa femme
Quand on a reçu comme moi
La croix d’honneur chez les bonnes soeurs ?

Comment tuer l’amant de sa femme
Moi qui n’ose même pas
Le lui dire avec des fleurs ?
Comme je n’ai pas le courage
De l’insulter tout le temps
Il dit que l’amour me rend lâche
Comme il est en chômage
Il dit en me frappant
Que l’amour le rend imprévoyant
S’il croit que c’est amusant
Pour un homme qui a mon âge
Qui n’a plus de femme et onze enfants
Bien sûr je leur fais la cuisine
Je bats les chiens et les tapis
Le soir je leur chante "Nuits de Chine"
Mais qui n’a pas ses petits soucis ?

Pourquoi tuer l’amant de sa femme
Puisque c’est à cause de moi
Qu’il est un peu vérolé ?
Pourquoi tuer l’amant de ma femme
Puisque c’est à cause de moi
Qu’il est pénicilliné ?

Jacques Brel, 1968


mardi 13 septembre 2011

Le rire peut-il changer le monde?

L’émission Ça vous dérange du 26 août sur France Inter était consacrée sur « Le rire peut-il changer le monde ? ».

Sur le site de l’émission, on dit la chose suivante : « Anticonformiste en détournant les règles, conformiste en raillant ceux qui s’en écartent. Inventif et salvateur ou démoniaque et cruel… Alors, le rire peut-il changer le monde ? »

Les invités :
·         L’essayiste Olivier Mongin
·         Le docteur Henri Rubinstein
·         Corinne Cosseron, directrice de l’Ecole du Rire

L’émission se réécoute en suivant ce lien

lundi 23 mai 2011

Le Dictateur, Charles CHAPLIN


Né d’une ressemblance entre Chaplin et Hitler (la fameuse moustache), le scénario est écrit en 1938 et le film, qui vise à mobiliser l’opinion (aux USA notamment, extérieurs au conflit), est terminé malgré de nombreuses pressions en juin 1940, bien avant la fin de la Guerre.
L’histoire : Un barbier juif ayant participé à la Grande Guerre et sauvé la vie d’un pilote retrouve le ghetto après vingt ans d’amnésie. Entre-temps, le dictateur anti-sémite Hynkel, son sosie, a pris le pouvoir. Les séquences alternent palais/ghetto.
Le thème : Rire de la raison contre la déraison : « Il fallait rire de Hitler » écrit Chaplin dans Ma vie. Ce devoir de rire fait de l’œuvre une arme de lutte contre le nazisme, non seulement sur le front idéologique, en ridiculisant la bêtise de la dictature (Goebbels devient Garbitsch, garbage, ordure, et Goering, Herring, hareng).
Rire de dérision : le grotesque du personnage et de son idéologie est montré à travers les discours de Hynkel, son comportement puéril, et bestial.
Rire de résistance : l’amnésie du barbier lui permet, de retour au ghetto, d’échapper à la propagande. Il est le seul, avec Hannah qui souligne leur salutaire distraction, à réagir sainement. Ce nécessaire recul est la base du comique de Chaplin : sourd au chant guttural des sirènes nazies, il révèle leur évidente absurdité.
Mais on ne peut pas rire de tout. Chaplin fixe les limites du rire et dénonce le rire mauvais des Nazis et le rire bête.

dimanche 15 mai 2011

Pierre Desproges, Le Tribunal des flagrants délires

 Le Tribunal des flagrants délires, est le titre d'une émission satirique de radio animée par Pierre Desproges pendant plusieurs années. L'humoriste y abordait tous lethemes, et n’hésitait pas à s’en prendre à de nombreuses personnalités qu’il ridiculisait de manière sarcastique et violente, en donnant l’impression qu’il ne respectait rien.

Stéphane Guillon.









dimanche 8 mai 2011

Le Petit Nicolas, Laurent TIRARD




Le petit Nicolas est un jeune garçon vivant dans un environnement urbain pendant les années 1950, livrant ses pensées intimes sur l’enfance et le monde complexe des adultes. L’adaptation de Laurent Tirard repose sur le choix d’éléments caractéristiques appartenant à différentes histoires. Cette comédie familiale réunit en 2009 environ 6 millions de spectateurs.
A la manière de Titeuf aujourd’hui, le petit Nicolas tente de décrypter les rapports entre camarades d’école, les premières amourettes, les consignes de la maîtresse, mais il essaie également d’interpréter les valeurs des adultes comme les relations entre voisins, le monde du travail, ou encore les disputes familiales. 

Quiz

Testez vos connaissances:

http://lewebpedagogique.com/bts/bts-quiz-de-francais-culture-generale-et-expression-lecriture-personnelle/

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Derniers rappels

Synthèse de documents :
C’EST LA CONFRONTATION DES DOCUMENTS QUI EST IMPORTANTE
·         Annoncez clairement le thème du dossier (sujet restreint)
·         Dans la présentation des documents, n’oubliez pas qu’un document ne « parle » pas, ni ne « montre », ni n’ « explique »…c’est l’auteur du document qui explique… Evitez les « le doc 1 est un… », «  le doc 2 est… »
·         Annoncez clairement la problématique ainsi que le plan.

Ecriture personnelle :
C’EST LA MISE EN VALEUR DE VOS IDEES ET LA CAPACITE DE LES DEFENDRE
·         Trouver la réflexion qui « amène » la question posée, c’est la première démarche.
·         Si vous citez des films, n’oubliez pas de souligner leurs titres.
·         Prenez position et valorisez vos points de vue.

mardi 22 février 2011

Le malaise de la jeunesse européenne

Ils sont quinze jeunes européens, grecs ou italiens. Souvent diplômés… souvent découragés, ils se posent presque tous la question : Comment rester dans un pays qu’ils aiment, mais dans lequel ils se retrouvent précarisés, déclassés ? Au cours de leur périple à la rencontre d’une jeunesse européenne en crise, les reporters de Télérama (voir liens ci-dessous) les ont croisés et écoutés.

Définitions du Sport- Encyclopédie de l'Agora

Le sport et le jeu
Le sport appartient à la sphère du jeu dont Johann Huizinga et Roger Caillois ont déterminé les premiers la nature et fixé les catégories. En complète opposition avec la conception traditionnelle du jeu dans lequel les auteurs anciens ne voyaient qu'une forme dégradée de pratiques rituelles ou sacrées, ou d'activités imposées par les nécessités de la vie, Huizingua soutenait, qu'au contraire, la culture est issue du jeu, que le jeu stimule l'ingéniosité et la capacité des êtres humains à concevoir des règles pour encadrer leur existence, à délimiter un territoire où l'avidité primaire et la volonté de domination trouvent à s'exprimer sans détruire un ordre social précaire. Il définit le jeu comme une «une action fictive, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité... », définition qu'il complète en ajoutant que cette action s'accomplit dans le respect librement consenti de règles impérieuses et indiscutables, qu'elle est «pourvue d'une fin en soi ». 



Thème n° 2 - Le sport, miroir de notre société ?



Le sport, miroir de notre société?

Voilà le nouveau thème de 2011-2012!!!

Vous pourrez lire le Bulletin Officiel dans la barre de droite ou ici

Donc, les deux thèmes au programme sont :
« Rire : pour quoi faire ? »
Et
« Le sport, miroir de notre société»

dimanche 23 janvier 2011

Marcel Gotlib, dessinateur culte des années 1970-1980

Marcel Gotlib est un maître. Un auteur riche de ses influences françaises et états-uniennes (Walt Disney, l’humour underground de Mad, mais aussi Vaillant dans lequel il a publié ses premières bandes dessinées, Goscinny avec qui il a commis les Dingodossiers), mais jamais prisonnier d’une école. Autodidacte, il s’est construit avec son époque, croquée dans tous les sens de l’absurde et de la dérision.
Avec lui, tous les codes de la bienséance sont piétinés ; tous les gestes les plus grossiers sont figés comme constitutifs du naturel primate de l’homme (on pense à Gai-Luron qui enfonce « joyeusement » son doigt dans le nez) ; tout ce qui semble aller de soi exagéré comme un vice : le sexe, le sport... Résolument « anti-cons » Marcel Gotlib n’est cependant pas un misanthrope. Son cynisme se veut d’abord une école du rire, d’un rire de soi-même d’abord et d’un rire subversif toujours. 



Lire plus par ici

Quelques termes-clés- Le rire (à suivre)...

·         Rire: le rire est un phénomène complexe. Il se manifeste physiquement : « Les muscles du visage, le grand zygomatique (qui va des pommettes jusqu’au coin des lèvres) et le risorius (au coin des lèvres) s’animent. L’orbiculaire inférieur des paupières se tend. Les narines se dilatent. On expire et on inspire de plus en plus vite. Le diaphragme se soulève. Les boyaux se tordent » (Héliane Bernard et Alexandre Faure, C’est quoi le rire ?, 2009). On peut rire pour des raisons purement corporelles : à cause de chatouilles, voire de ce qu’on appelle le gaz hilarant (nom commun pour le protoxyde d’azote). Mais c’est aussi une expérience mentale, voire esthétique : un spectacle, une situation comique, un bon mot provoquent le rire. Enfin, toutes les expériences (y compris l’observation quotidienne) prouvent que le rire est plus intense lorsqu’il est partagé.

·         « Rire est le propre de l’homme » : cette expression, très connue, remonte au Grec Aristote (IVe siècle avant J.-C). Rabelais la reprend dans son fameux « Avis aux lecteurs » de Gargantua en 1534. Cette expression met en lumière l’universalité du rire dans l’espèce humaine : tous les hommes connaissent cette expérience esthétique et physiologique. Mais ils ne rient pas tous des mêmes choses car l’humour est toujours ancré dans la société. Ainsi, au Paraguay, les Indiens Guayaki raillent n’importe quel homme portant un panier-signe d’une féminité insupportable. Chez les Nambikwara, tribu brésilienne, on rit de bon cœur des amoureux qui s’embrassent en public. Les Européens n’auraient absolument pas cette réaction. Par ailleurs. L’affirmation d’Aristote a été scientifiquement récusée. Il a été démontré, il y a plus de vingt ans, que les grands singes sont aussi capables de rire. Plus récemment, un neurobiologiste américain a montré que les rats riaient aussi !!!

·         « Rire absolu et rire relatif » : la distinction entre rire absolu et rire relatif est due à Baudelaire qui suggérait d’opérer une classification des comiques. Il appelle « rire absolu » le rire carnavalesque, joyeux et créatif, qu’il trouve peu fréquent en France. Il désigne sous le terme de « rire relatif » les formes de la satire et de la moquerie, plus propres selon lui aux écrivains français.

mardi 11 janvier 2011

« Les jeunes sont mal partis », Louis Chauvel.


Dans les sociétés vieillissantes, la surdité aux problèmes sociaux des générations à venir peut devenir un vrai souci. Mais c'est là un symptôme plus que la cause profonde du mal, qui n'a rien de nouveau. Ce qui est inédit, en revanche, relève de la profondeur du déni d'un phénomène qui s'amplifie. Mon expérience, douze ans après la première édition du Destin des générations, me permet d'en établir le constat : depuis 1998, nous n'avons rien fait, alors que nous savions. Chaque fois, les périodes de rémission ont donné l'illusion du rétablissement, mais, en réalité, la situation s'est dégradée.
Quels sont les symptômes de ce mal-être collectif ? Les plus visibles relèvent des difficultés de la jeunesse. Nous le savons, trente-cinq ans après l'extension du chômage de masse, la jeunesse a servi de variable d'ajustement. Chômage record, baisse des salaires et des niveaux de vie, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit (stages, piges, free-lance, exonération de charges, etc.), nouvelle pauvreté de la jeunesse, état de santé problématique et faible recours aux soins, absence d'horizon lisible.
En une décennie, nous n'avons pas progressé - c'est une litote. Nous observons un triple déclassement. Scolaire d'abord, la jeunesse étant maintenant de classe moyenne du point de vue des diplômes, mais en deçà de la classe ouvrière du point de vue des revenus. Au-delà de la valeur des diplômes, le déclassement est aussi intergénérationnel, avec une multiplication attendue des trajectoires sociales descendantes par rapport aux parents.
Il est aussi systémique, puisque, avec la chute des nouvelles générations, ce sont leurs droits sociaux futurs qui sont remis en cause : leur développement humain aujourd'hui, leur capacité à élever leurs enfants demain, et leurs retraites après-demain. Il s'agit donc de la régression du système social dans son entier, et pas simplement celui d'individus. Par-dessus tout, une frustration générale envahit les esprits devant l'accumulation des promesses non tenues : celle du retour au plein-emploi grâce au départ à la retraite des premiers-nés du baby-boom (rapport Teulade de 1999), de meilleurs emplois par la croissance scolaire, dans un contexte où le travail seul ne permet plus de se loger. Il s'ensuit une colère, voire une haine, qui se détecte clairement dans la jeunesse de 2010 et que le mouvement sur les retraites a paradoxalement canalisée.
Il reste que la symptomatologie n'est pas un diagnostic. Celui-ci relève du refus collectif de regarder lucidement notre long terme, et du caractère profondément conservateur, rentier, de la société française dans son entier. Le comportement patrimonial des possédants français accumulant de l'assurance-vie et des logements vides, tout comme leurs grands-parents serraient leurs lingots, relève de la même frilosité.
A droite comme à gauche, l'enjeu est de servir les droits acquis plutôt que de développer ceux de demain. Depuis plus de dix ans, la première information sur les sites Internet des grandes centrales syndicales relève de la retraite, et celui des banques vante les placements à bons taux et sans risques auprès de leurs clients. Notre économie est un capitalisme d'héritiers de énième génération où les nouvelles fortunes peinent à faire leur place, et notre Etat-providence nourrit les jeunes pauvres au travers des retraites de leurs ascendants.
La réforme des retraites aurait pu être un moment propice à l'analyse des années 2030, mais la confrontation, nécessaire, ne fut que celle des postures convenues de notre régime : la droite gouvernementale protège les retraités d'aujourd'hui, son coeur électoral, et sacrifie ceux de demain ; les syndicats et la gauche exigent quant à eux de reporter la charge sur les jeunes actifs, ces grands absents des débats politiques.
Dans son texte sur "la révolution de l'âge" (Le Monde du 14 avril 2010), Martine Aubry ne mentionne les jeunes qu'au détour de deux phrases : pour être soutenus par les anciens, et pour avoir confiance en le système. Jusqu'où ? Faut-il s'étonner dès lors que notre Assemblée nationale, la plus vieillie au monde, fondée sur la quasi-absence des moins de 50 ans, professionnalisée autour de députés mâles sexagénaires réélus depuis plus de vingt ans, cumulant souvent un mandat et de généreuses retraites, réforme les pensions en conservant ses propres droits acquis et fait porter l'ajustement sur les députés de demain, absents des débats.
Il s'agit de comprendre que ce jeu est "idéal-typique" de notre pays, où les derniers retraités aisés du début du baby-boom décident de l'appauvrissement des générations nées trop tard, victimes muettes d'enjeux où leur absence est sciemment organisée. C'est là une racine de notre mal : le diagnostic de 2010 montre que les "nouvelles générations" nées après 1955, celles entrées dans le monde du travail après 1975 dans le contexte du plein chômage, ont été affectées de façon durable, voire définitive. Derrière ces premières cohortes de vétérans de la guerre économique, les suivantes ont accumulé des handicaps croissants qui forment des cicatrices durables sur le corps social.
Alors que faire ? Pour partie, le traitement est bien connu. L'enseignement est un enjeu vital. L'état de pauvreté de l'université "low cost" à la française effraie les collègues étrangers : nous signons là le choix du déclassement scientifique de notre pays. Mais cela ne suffira pas : à quoi bon former parfaitement des jeunes qui ne trouveront pas d'emploi ?
L'invention du travail quasi gratuit (les stages), massivement subventionné par les parents aisés, n'a pas suffi, et, après trente années d'incurie, il faut aussi réintégrer les anciens jeunes de 1985 qui avaient raté leur entrée dans la vie. Cette politique de retour au plein-emploi est la première priorité de la politique de génération dont nous avons besoin. Il faudra passer par le double tranchant de la fluidification du droit du travail et de l'obligation d'embauche faite aux employeurs. La crise du logement exige aussi un plan de long terme de constructions collectives et de qualité pour densifier le tissu urbain des espaces moyens entre centre et périphérie.
Rien ne se fera sans investissements massifs. Notre défi de la décennie 2010 est que nous abordons mal cette période, en concentrant les trois grands handicaps caractéristiques des blocages des périodes prérévolutionnaires, selon le sociologue Randall Collins : dette massive de consommation empêchant l'élaboration de politiques publiques ambitieuses d'investissement ; frustrations liées à l'accumulation de promesses intenables ; gouvernance du pays déstabilisée par des majorités de plus en plus difficiles à réunir, dans un contexte où plus aucune autorité n'est acceptée.
Ces investissements massifs nécessitent d'en dégager des moyens. On ne peut honorer sans retour les promesses d'une retraite précoce, longue et aisée comme celle des jeunes seniors des classes moyennes d'aujourd'hui, et ces besoins d'investissements d'avenir. Le projet d'abandon de l'impôt sur la fortune (ISF) et son remplacement par une taxation des revenus du patrimoine va dans le mauvais sens, dans une société française où le patrimoine immobilier dormant a vu tripler sa valeur en vingt ans.
Une meilleure taxation des résidences secondaires dans le tissu urbain est de nature à rapporter des ressources considérables tout en fluidifiant de nouveau le marché de l'immobilier : combien de seniors ont leur épargne dans des logements vides à l'année, dans des zones à forte densité, alors que les jeunes familles s'entassent dans quelques pièces ? En réalité, le seul ajustement substantiel susceptible de changer le rapport à la rente consisterait à introduire, dans la déclaration du revenu imposable, la valeur locative, qui est bien un revenu implicite, de l'ensemble des biens immobiliers détenus par les ménages (hors remboursements en cours), en particulier celle de la résidence principale. Cela suppose une réévaluation rapide des valeurs locatives cadastrales, dont on sait les dérives séculaires.
Les seniors de 2010, qui sont propriétaires sans remboursement d'emprunt dans plus de 70 % des cas, ont été les grands bénéficiaires - par les plus-values longues, et donc non imposables - de la crise du logement payée au prix fort par les jeunes actifs. Les seniors urbains des classes moyennes supérieures n'ont jamais vécu aussi à l'aise dans des logements sous-occupés, le couple type de 60 ans vivant à deux dans un cinq-pièces, alors que les jeunes familles sont tenues de s'entasser dans de petites surfaces. La fluidification du marché immobilier qui en résultera permettra ainsi d'ajuster les ressources aux besoins.
Cette mesure est capable de desserrer l'étau du logement et d'activer là une véritable politique de solidarité entre les générations. Mais il faut se rappeler que les périodes de conscience où la société française redécouvre sa jeunesse sont systématiquement suivies de phases d'amnésie où elle oublie jusqu'à l'existence de ses propres enfants. Le patient préfère alors se droguer au déficit, et, dans ces phases, l'investissement dans la jeunesse est un voeu pieux. Parions donc qu'aucun candidat n'aura le courage de s'atteler à une telle politique de générations.
Louis Chauvel, sociologue, professeur à Sciences Po (Le grand débat)

A propos de l'auteur

Né en 1967, appartenant à l'Observatoire français des conjonctures économiques, Louis Chauvel est spécialisé dans l'étude de la "fracture générationnelle" et des inégalités. Membre honoraire de l'Institut universitaire de France, on lui doit notamment "Le Destin des générations : structure sociale et cohortes en France du XXe siècle aux années 2010" (PUF, 2010).
Article paru dans l'édition du 04.01.11