lundi 17 mai 2010

La fin de la “génération”?

Un baigneur en feu (TheGiantVermin/Flickr)


Les « non-parents », des gens qui ne veulent pas faire d'enfants. 




La première édition française de la fête des non-parents a réuni, samedi, une joyeuse bande de gens qui ont refusé de procréer.
« Rien n'est plus beau que le sourire d'un enfant posant ses yeux émerveillés sur le monde qui l'entoure. » Beurk, non ? Alors qu'une femme enceinte ressemble à une baleine et un nouveau-né à un Gremlin, l'ambiance générale après 30 ans est à la béatitude devant le-miracle-de-la-vie.
Pour affirmer leur liberté de ne pas se reproduire tout en pratiquant à souhait l'acte qui permet de le faire, une centaine de personnes se sont retrouvées, ce samedi, auComptoir Général à Paris, à côté de ce vilain canal Saint-Martin si complaisant avec les poussettes.
A l'initiative de la Fête des non-parents (une première en France, après une édition belge), on retrouve Théophile de Giraud, auteur de « L'Art de guillotiner les procréateurs », Frédérique Longrée, Corinne Maier, auteur de « No Kid, 40 bonnes raisons de ne pas avoir d'enfants » et Noël Godin, le célèbre entarteur. La présence de ce vieux gros Belge à la voix de stentor, « spécialiste de l'anarchisme » (la dénomination le fait se gondoler), complètement azimuté et qui a entarté BHL à sept reprises, augurait d'une bonne soirée.

Une expo photo de bébés en plastique martyrisés

Bon, au début, c'était bizarre. Une dame brune sympa mais les yeux dans le vide, la quarantaine, m'attrape par le bras et me traîne devant le cabinet de curiosité du Comptoir Général, où elle voit des signes partout :
« Tu vois l'enfant, il est sur du noir, et l'as de pique est déchiré. Le roi regarde du côté de la reine sans tête, parce que la tête de la reine est derrière le roi. C'est comme ces mannequins de lingerie qui n'ont pas de tête, dès que les enfants lèvent les yeux de la poussette, ils voient ça, on les habitue, c'est symbolique. »
OK ouais. J'essaie de ramener la conversation vers quelque chose de sensé. « Vous par exemple, pourquoi vous n'avez pas eu d'enfants ? » « Quand j'ai arrêté la pilule, j'ai senti tous mes ancêtres qui remontaient le long de mon corps. » Ah…
Un peu plus loin, sous une expo photo très étrange de bébés en plastique martyrisés, trois personnes avec trois bières parlent de façon intelligible. Il y a Bruno, la cinquantaine, qui n'aime pas les enfants. « Ma mère est désespérée ! » Ça le fait marrer.
Avis à la maman de Bruno : votre fils n'aime vraiment pas les enfants, ça ne sert à rien de le forcer, surtout que maintenant il sort avec une dame qui en a un donc c'est presque pareil en moins chiant et moins cher.
Bruno discute avec Stéphanie, une femme très jolie à l'air sûr d'elle (je dis ça pour ceux qui pensent que y'a que les moches qui viennent à ce genre de soirée, rapport à la frustration). Stéphanie pense que plus on fait d'études, moins on a envie de se reproduire, ce qui n'est pas faux statistiquement. Elle a préféré privilégier « son confort de vie », même si à 25 ans elle se payait la honte quand sa famille la déguisait en catherinette.
A côté, Stéphane (une fille, même si elle s'appelle Stéphane) a eu un enfant, mais en est « très contente » (ouf). Elle est venue par intérêt pour le dénatalisme écologique.

Pourquoi procréer dans un monde tout niqué ?

En gros, certains écolos pensent que la Terre est un peu étriquée et que la repeupler n'est pas forcément malin, compte tenu des ressources. C'est le sujet du débat de ce soir.
On peut choisir de ne pas avoir d'enfants juste parce qu'on n'aime pas ça, mais aussi pour plein de raisons politiques, comme l'envie de lutter contre la pollution des couches et tout le CO2 produit par les marmots (qui deviendront des gens et pollueront avec leur 4X4), ou parce que c'est absurde de procréer dans un monde tout niqué.
Je croise aussi une dame venue avec dix personnes de OnVaSortir.com, des non-parents qui arborent fièrement une capote accrochée avec du ruban rouge à leur col de veste, un dessinateur de Siné Hebdo qui n'a plus de travail parce que Siné Hebdoc'est fini, qui s'en fout un peu des enfants mais qui est là pour voir Noël Godin, qui est rigolo.
Le débat commence. Théophile de Giraud boit sa bière dans un biberon, ça plaît aux photographes. Corinne Maier :
« Depuis quelques années, la France subit une offensive nauséabonde sur le thème “travail, maternité, identité nationale”. »
Elle, malgré ses deux rejetons ados présents dans la salle, veut affirmer la place des « ne-pas-istes » dans la société. « Jean-Jacques Rousseau était un grand subversif et a abandonné ses enfants à l'assistance publique », rappelle Corinne Maier, même si elle n'appelle pas l'ensemble de la population à imiter le philosophe.
Laure Noualhat, journaliste environnementaliste à Libération, prépare un documentaire sur les « no kids ». Elle cite Pauline Bonaparte : « La première moitié de notre vie est gâchée par nos parents, la seconde par nos enfants. » La clé, pour Laure Noualhat, c'est d'éviter de se reproduire sur une planète pourrie où il n'y a pas assez de place pour tout le monde.
Sur ces propos, Noël Godin déclame : « Pondre des lardons, c'est maso à crever et contre-révolutionnaire, ça gagatise », tonne l'entarteur. « La maternité, c'est la servitude volontaire par excellence. Au même titre que les curés, les flics et les patrons, les parents sont les loufiats du capital. » « Noël président ! » gueule quelqu'un à la fin de son discours. « Les présidents dans la flotte ! » répond Noël, cohérent.

« Mangeons-les ! »

Après, il y a le moment un peu gênant où Xavier Renou, le Désobéissant, accuse tout ce beau monde de malthusianisme et dit que le problème, ce n'est pas les enfants, mais le capitalisme.
Dans la salle, une fracture doublée d'une incompréhension générale apparaît. Heureusement, Laure Noualhat reprend la parole pour dire que l'infanticide est une sagesse quand on n'a ni la contraception, ni l'avortement. Tout le monde trouve ça très courageux, et Noël Godin hurle « Mangeons-les ! »
Là, un prof se lève : « Le meilleur moyen de ne pas avoir d'enfants, c'est de faire comme moi. Devenez prof. » Tout le monde rit. Puis on parle de la grève des ventres, moyen de pression politique qui, si ça se trouve, pourrait marcher. Il paraît même qu'une fois, au Danemark, une centrale nucléaire a été décommandée grâce à ça.
Alors que moi aussi, amusée, je siffle une petite bière, un vieux monsieur me demande de quel journal je viens. « Les Inrockuptibles, vous connaissez ? » « Oui, enfin… surtout mes enfants. »
Camille Polloni.


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