Ceci est un article paru dans Sciences Humaines
Une histoire d'amour, lorsqu'elle démarre, se vit sur le mode de la magie et de l'enchantement. On aimerait croire qu'elle est toujours unique et mystérieuse. Pourtant, à y regarder de près, l'amour, comme la plupart des sentiments, a aussi ses lois.
Quel effet ça fait d'être amoureux ?
Elle attend sa venue. Il sera là, ce soir, à neuf heures. Tout près d'elle. Elle prend un bain, chantonne. Elle sent battre son coeur. Fort. Elle est heureuse ; elle est amoureuse. Folle d'amour. Elle pense à ses grands yeux, son corps, sa bouche, son sourire...
« Attentes, ô délices, attentes dès le matin et tout le long de la journée, attentes des heures du soi, délices de tout le temps ; savoir qu'il arriverait ce soir à neuf heures, et c'était déjà du bonheur. »
Elle, c'est Ariane, la jeune épouse d'Adrien Deume, fonctionnaire sans éclat travaillant à la Société des Nations. Lui, c'est l'amant, Solal, le supérieur hiérarchique de son mari. Il la trouve belle, attirante, originale. Pour la séduire, il se débarrasse provisoirement d'Adrien Deume en l'expédiant en mission à l'étranger. Il réussit alors à subjuguer la jeune femme par une déclaration éblouissante. C'est le début d'une folle passion.
Belle du Seigneur (1968) est l'un des plus beaux romans d'amour jamais écrits. On en ressort ébloui, secoué, bouleversé. C'est un hymne à l'amour même s'il finit en tragédie. Albert Cohen décrit l'enivrant délire des premiers temps d'une passion amoureuse. Ne pouvant plus s'en séparer, Solal s'enfuit avec Ariane sur la Côte d'Azur. Dans leur chambre d'hôtel, puis dans une villa, Belle-de-Mai, ils vivent des moments sublimes. « Ô cette joie complice de se regarder devant les autres, joie de sortir ensemble, joie d'aller au cinéma et de se serrer la main dans l'obscurité, et de se regarder lorsque la lumière revenait, et puis ils retournaient chez elle pour s'aimer mieux, lui orgueilleux d'elle, et tous se retournaient quand ils passaient, et les vieux souffraient de tant d'amour et de beauté. »
L'état amoureux - particulièrement durant sa phase initiale (« à l'état naissant ») - peut être repéré par des symptômes caractéristiques. L'anthropologue Helen Fisher a mené l'enquête auprès de jeunes Américains et Japonais. Il en ressort un tableau clinique où se repèrent quelques constantes (1).
La focalisation de l'attention d'abord. Quand l'autre est là, plus rien ne compte. « Ils étaient l'un pour l'autre tout l'univers », écrit Friedrich von Schlegel, dans Lucinde (1799). Cette attention exclusive s'accompagne d'une recherche de fusion, (« je voudrais me fondre en lui/elle »).
Lorsqu'il est absent, l'être aimé survient dans la tête de l'amoureux sous forme de pensées intrusives. C'est la deuxième caractéristique de l'état amoureux (« je n'arrête pas d'y penser »). Un autre signe est l'exaltation. Ariane est heureuse, déborde d'énergie, comme si elle était en transe. Les mots de la passion amoureuse n'évoquent-ils pas le « transport », les « débordements », l'« extase ». L'idéalisation est un autre trait marquant de l'état amoureux.
L'être aimé est paré de toutes les qualités, ses défauts gommés, ses points positifs hypervalorisés (« il est génial ! », « elle est adorable ! »). On dit que l'amour rend aveugle. C'est sans doute un peu vrai : le sentiment amoureux ne sert pas à comprendre autrui mais à vivre avec.
Tout n'est pourtant pas merveilleux durant cette phase passionnelle. L'amour se traduit aussi par des symptômes de manque lorsque l'être cher est absent. La moindre contrariété peut aussi conduire à un brutal accès de désespoir. L'amoureux est inquiet, jaloux, en permanente recherche d'indices de l'amour de l'autre.
Jean- Francois DORTIER
NOTE(1) H. Fisher, Pourquoi nous aimons ?, Robert Laffont, 2006.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire